Quel pain voulons-nous ?
October 1, 2018
Le métier de boulanger est associé à une image d’artisanat et de savoir-faire. Contrairement à d’autres aliments, on ne pense pas forcément à questionner l’origine du pain que nous mangeons. Pourtant, derrière l’image d’Epinal du petit boulanger façonnant son pain à la main tous les matins, se cache une réalité bien différente. Dans son livre “Quel Pain voulons-nous ?”, Marie Astier nous fait entrer dans les coulisses de la fabrication du pain.
Les semences
Au début du XXème siècle, les blés étaient sélectionnés et re-semés chaque année par des paysans en fonction de leur adaptation aux conditions locales et de leurs qualités gustatives. Aujourd’hui les blés sont sélectionnés par une poignée d’entreprises qui effectuent des croisements afin d’obtenir de nouvelles variétés. Il faut compter 10 ans en moyenne avant qu’une nouvelle variété puisse passer les tests de conformité et finalement être inscrite au catalogue officiel des semences. Seules les variétés inscrites dans ce catalogue peuvent être commercialisées. La plupart des variétés sont protégées par des brevets et les céréaliers ont l’obligation de racheter des graines chaque année ou de payer une redevance au semencier s’ils font le choix de les replanter. Si ce mode de fonctionnement a de nombreux avantages en assurant une traçabilité du blé, il pose aujourd’hui de nombreux problèmes. En particulier: quels sont les critères de sélection des blés et d’inscription au catalogue officiel ? Marie Astier s’est ainsi rendu chez Arvalis où sont effectués les tests de panification. Elle y apprend que les blés sont sélectionnés en fonction de leur “rendement, de leur résistance aux maladies et de leur valeur technologique”. Un des critères les plus importants est la quantité de gluten qui permet aux pâtes de mieux résister à la surgélation, ce même gluten qui cause aujourd’hui des intolérances. Les qualités gustatives ou les bienfaits pour la santé n’entrent à aucun moment en ligne de compte. Les pains fabriqués lors des tests de panification ne sont même pas goûtés. De plus, certaines semences sont sélectionnées pour fonctionner en tandem avec des pesticides, rendant les céréaliers dépendant de ce mode d’agriculture. Il ne faut pas s’en étonner car les semenciers appartiennent le plus souvent à des grands groupes qui commercialisent aussi des “produits phytosanitaires” (comprendre pesticides). Enfin on peut se questionner sur la perte de biodiversité et sur une certaine forme de confiscation du vivant par un petits nombre d’entreprises.
Face à ce constat alarmant, on assiste à de nombreuses initiatives visant à se réapproprier la production des semences. On peut citer notamment le réseau Semences Paysannes en France ou encore l’organisation OpenSourceSeeds qui a créé une licence libre pour les semences. De plus en plus de paysans boulangers vont chercher des variétés de blé ancien dans les congélateurs de l’INRIA et les font évoluer d’une année sur l’autre en fonction de leur résistance, de leur adaptation au terroir, et de la qualité des farine. Marie Astier est ainsi allée à la rencontre de Florian et Julie, paysans boulanger dans le Morbihan. Ils maîtrisent toutes les étapes de la fabrication du pain, depuis la sélection des semences jusqu’au four à pain en passant par la fabrication de la farine et commercialisent leur pain uniquement en circuit court. Pour Florian, “son laboratoire est entre ses deux maxillaires”.
Les céréaliers
Pour la majorité des céréaliers, le mot d’ordre est la productivité. Les cours du blé sont mondiaux et fluctuent en fonction des aléas de la production mondiale. Là encore le taux de protéine (donnant du gluten) est ce qui est recherché sur le marché. L’enjeu est donc de produire toujours plus avec un un taux de protéine toujours plus élevé afin de rembourser les emprunts (terres, tracteurs) et les coûts d’exploitation liés à l’utilisation d’engrais et de pesticides. Cette exploitation intensive appauvrit les sols, favorise les maladies en diminuant la biodiversité, et nécessite d’autant plus d’engrais et de pesticides. C’est donc un véritable cercle vicieux qui plongent de nombreux agriculteurs dans la misère et les exposent à des risques sanitaires pour le plus grand profit des industriels.
À côté, des producteurs bio parviennent à s’en sortir par le haut. Leur rendement est moindre (40 quintaux l’hectare contre 100 quintaux en agriculture intensive) mais leur blé se vend trois fois plus cher pour des charges moindres. Le rôle du consommateur est ici primordial: choisir d’acheter bio, ce n’est pas seulement manger sain, c’est également un acte citoyen visant à garantir des conditions de vie décentes aux agriculteurs et à protéger l’environnement.
Les meuniers
Le travail des meuniers consiste à éliminer les parties périphériques des grains de blé (les sons et remoulage) et à transformer la partie centrale en particule assez fines et assez pures pour composer la farine. Au début du XXème siècle, ce travail était assuré en France par environ 40 000 moulins. La mouture se faisait sur meules de pierre grâce à la force du vent, de l’eau ou des animaux. Les propriétés de la farine variaient au gré des récoltes et les boulangers devaient d’adapter à chaque nouvelle livraison. Un procédé technologique vient perturber le paysage: la mouture sur cylindres qui permet d’écraser beaucoup plus de grains plus rapidement. Les petits moulins laissent peu à peu la place à des minoteries industrielles. Aujourd’hui la plupart des minoteries sont en réalité des usines à la pointe de la technologie qui n’ont plus rien à voir avec le moulin à vent ancré dans l’imaginaire collectif. Elles fournissent des farines standardisées très stables d’une livraison à l’autre. En plus de la vente de farine, les meuneries conçoivent des marques telles que Banette, Baguépi, Campaillette qui sont associés à une recette bien précise imposée aux boulangers. On assiste à une concentration croissante de ces établissements aux mains de quelques grands groupes industriels. Ainsi, selon les chiffres de Marie Astier, il n’y a plus en France que 439 minoteries appartenant à 372 entreprises. Les quatre plus grosses produisent à elles seules 57% de la farine fabriquée en France. On peut citer Les Grands Moulins de Paris ou encore Les Moulins Soufflet qui trustent le haut du classement. Cette concentration va de paire avec une plus forte intégration verticale de la filière: meunerie, semences, produits phytosanitaires. Les géants investissent même la filière avale (où les marges sont supérieures) en ouvrant des chaînes de boulangerie ou même en ouvrant des écoles de formation boulangères pour s’assurer de futurs clients rompus à l’exercice de la fabrication de pain standardisé.