Le mythe de la croissance verte

March 7, 2019

Lors de «L’Emission politique»1 consacré à Nicolas Hulot et diffusée le jeudi 22 novembre 2018 sur France 2, le porte-parole du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux était invité pour débattre avec l’ex-ministre de la transition écologique. Alors que Nicolas Hulot en appelle à un changement de paradigme économique, M Roux de Bézieux mise tout sur l’innovation en brandissant une ampoule LED. D’après le patron des patrons, l’ampoule LED, qui consomme dix fois mois qu’une ampoule à incandescence classique, symbolise la capacité des entreprises et du système productivste à trouver des solutions technologiques aux problèmes environnementaux.

« Ce sont les entreprises et les technologies qui ont la solution » - Geoffroy Roux de Bézieux

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D’après lui, il n’y aurait pas de contradiction entre économie libérale consumériste et écologie. Cette pensée est largement partagée par des penseurs de droite comme Luc Ferry 2 et par le gouvernement actuel.

Il est indéniable que les innovations technologiques sont indispensables si on veut réaliser une transition écologique en douceur sans revenir à la bougie. On peut citer entre autres des innovations permettant de:

  • faire autant avec moins (bâtiments à énergie positive)
  • concevoir des matériaux recyclables
  • limiter la pollution (voitures électriques)
  • sensibiliser aux enjeux climatiques (technologies web)
  • déployer des énergies renouvelables (smart grid)
  • optimiser des trajets en voiture (Blablacar)
  • recueillir des données environementales (Internet des Objets)


Les problèmes commencent lorsque le progrès technique est vu comme la panacée et sert à justifier l’attentisme écologique.

Pourquoi arrêter de prendre l’avion si on met en service des avions à hydrogène non polluants ? Pourquoi s’arrêter d’émettre du CO2 si on est capable de le capter ? Pourquoi préserver notre planète si on peut coloniser Mars ?

La foi dans le progrès pour résoudre tous les problèmes est hérité de l’économie du 20ème siècle lorsqu’on pensait encore que les ressources de notre planète étaient illimitées. Ce mythe ne survivra pas aux décennies qui viennent. Il devient urgent de changer de paradigme, passer du high-tech au low-tech, au risque de subir une décroissance forcée.

1 - Le risque est trop grand

S’agissant d’inaction environnementale, ce qui est en jeu n’est rien de moins que la disparition de l’espèce humaine et des ecosystèmes biologiques. Dans cette optique, est-on vraiment certain de vouloir confier l’avenir de nos enfants aux ingénieurs du projet ITER de fusion nucléaire, sachant qu’on n’arrive même pas à mettre en route un EPR ? Ce serait un peu comme jouer à la roulette russe. Les chances de réussite de tels projets sont infimes et s’inscrivent dans des temporalités beaucoup trop longues. Or nous n’avons presque plus de temps. Continuer à encourager la société de consommation et le culte de la croissance est donc contraire au principe de précaution inscrit dans la Constitution. Le recours en justice contre le gouvernement de plusieurs ONG dans le cadre de l’affaire du siècle est donc totalement justifié.

roulette-russe

En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.

2 - L’entropie

Les partisans de la croissance verte voudrait nous faire croire qu’il existe des énergies propres, une économie circulaire, une croissance verte. Autant d’oxymores qui se heurtent assez vite au deuxième principe de la thermodynamique. Ce principe physique introduit la notion d’entropie, ou désordre, qui accompagne nécessairement toute transformation. Autrement dit, on n’a rien sans rien, il n’y a pas de magie. Dès que l’on veut produire quelque chose, le transformer, le transporter d’un point A à un point B, il y a création d’entropie et de déchets. L’efficacité des processus est limité.

Prenons par exemple une bouteille en plastique soit disant recyclable. Elle n’est en fait recyclable que trois fois avant de devenir un déchet car à chaque recyclage les propriétés se détériorent. Autre exemple: le numérique. On nous fait croire qu’il permet de dématérialiser l’économie. Or on sait aujourd’hui que le numérique via ses data centers et équipements de réseau, produit environ 2% des émissions globales de CO2. Stocker et déplacer des octets a un coût. Chaque photo que vous partagez sur WhatsApp ajoute du CO2 dans l’atmosphère. On pourrait citer également le nucléaire comme énergie décarbonée. Certes mais il fait courir aux populations des risques sanitaires insoutenables et lègue aux générations futures des tonnes de déchets dangeureux. Même les panneaux solaires posent de gros problèmes écologiques par l’utlisation de terres rares.

Il n’y a jamais de miracles en physique : pour aller vite et/ou faire beaucoup, il faut payer très cher (en énergie, en ressources et, donc, en argent) ! - 3

3 - Effet parc et effet rebond

Même si des innovations technologiques intéressantes voient le jour rapidement, on sera confronté à deux problèmes: l’effet parc et l’effet rebond. 4

L’effet parc fait référence au temps de renouvellement des équipements pour atteindre la dernière norme en vigueur. Il faut compter vingt ans pour le parc automobile et des décennies voire un siècle pour le parc immobilier. D’ici là les ours polaires ont le temps d’aller se rhabiller.

L’effet rebond, encore appelé paradoxe de Jevons, peut être défini comme « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie». Il en découle le corollaire suivant : les économies d’énergie ou de ressources initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées à la suite d’une adaptation du comportement de la société. 5. Prenons l’exemple du service de covoiturage Blablacar. L’application permet de mettre en relation des gens qui désirent partager un trajet, optimisant ainsi l’occupation des voitures. Cela devrait en théorie réduire le nombre de voitures sur les routes. Le problème est qu’en rendant les voyages en voiture plus accessibles, Blablacar tend à augmenter le nombre de personnes sur les routes. L’effet escompté est bien moindre que prévu.

4 - 2.8 Terre

Il faudrait 2.8 Terre si toute l’humanité vivait comme les Français. D’après les derniers rapports du GIEC, la consommation mondiale doit être réduite de 50% d’ici à 2030 pour éspérer rester sous les 1.5°C de réchauffement climatique. Sur la même période, la population mondiale devrait atteindre 9 milliards d’individus, réduisant encore plus les marges de manoeuvre. Autrement dit, on ne sauvera pas la planète grâce à des jardinières connectées en aquaponie, n’en déplaise aux fans du CES à Las Vegas. L’ampleur du phénomène nécessite des changements drastiques de nos modes de vie: ne plus prendre l’avion, manger moins de viande, ne rien acheter de neuf, etc…

Conclusion

Le scénario 2050 dressé par l’association Négawatt montre que la transition écologique doit reposer sur 3 piliers :

  • efficacité
  • énergies renouvelables
  • sobriété


Les deux premiers piliers vont nécessiter des innovations technologiques intenses mais ils ne doivent pas occulter le dernier pilier: la sobriété qui nécessite de remettre en cause la société de consommation actuelle. En résumé, le trajet en avion le plus écologique reste celui qui n’est pas effectué.

Un bâteau de croisière écolo, 2000 personnes, 6000 tonnes, 10 voiles sur le dessus, 6000m2 de panneaux solaires - En terme d’écologie, ne serait-ce pas plus efficace de ne pas le construire ce bateau ? - En effet… - Bah voilà

Pour finir, il est ironique que M Roux de Bézieux ait choisi une ampoule pour nous conter les bienfaits du libéralisme sur l’environnemnt car l’ampoule est surtout le symbole de l’obsolescence programmé 6. L’ampoule centenaire de Livermore, mise en service en 1901 avant l’avénement de l’obsolescence programmée avec des technologies rudimentaires, brille d’ailleurs toujours au moment de l’écriture de ces lignes comme en témoigne la webcam installée dans la caserne de pompier. Vive le low tech !

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Références